Litige entre avocats associés : qui fixe la valeur des parts ?
Camille Merlet
31 Oct, 2019

PROFESSIONNEL

Litige entre avocats associés : qui fixe la valeur des parts ?

CAMILLE MERLET / 31 octobre 2019

La compétence du bâtonnier en matière de fixation de la valeur des parts des cabinets d’avocats.


Quand les avocats se dé-associent, comme tous les conflits entre associés, cela peut être très conflictuel.

Un arrêt rendu par la Cour de Cassation en mai 2019 est instructif sur 2 points : 1. sur le rappel du caractère d’ordre public de l’article 1843-4 du Code civil et sur les pouvoirs du Bâtonnier dans cette matière. Cass. civ. 1, 9 mai 2019, n° 18-12.073, FS-P+B.


Les faits :


A l’origine : une SCP composée de cinq avocats qui devient une SELARL (sur l’intérêt de basculer en SELARL, je vous recommande de lire mon article sur les SEL), deux associés retrayants ont saisi le Bâtonnier de l’Ordre des avocats au Barreau de Rennes, d’une demande d’arbitrage portant notamment sur la valorisation de leurs parts sociales détenues dans la SCP.

Par décision avant dire droit, le Bâtonnier a désigné un expert pour déterminer la valeur des parts sociales de la SCP, puis a rendu sa décision.


Est-ce qu’il existe un régime dérogatoire à l’article 1843-4 du Code civil pour les avocats ?


pour rappel l’article 21 de la loi du 31 décembre 1971  dispose que :

« Chaque barreau est doté de la personnalité civile. Le bâtonnier représente le barreau dans tous les actes de la vie civile. Il prévient ou concilie les différends d’ordre professionnel entre les membres du barreau et instruit toute réclamation formulée par les tiers. Tout différend entre avocats à l’occasion de leur exercice professionnel est, en l’absence de conciliation, soumis à l’arbitrage du bâtonnier qui, le cas échéant, procède à la désignation d’un expert pour l’évaluation des parts sociales ou actions de sociétés d’avocats. En cette matière, le bâtonnier peut déléguer ses pouvoirs aux anciens bâtonniers ainsi qu’à tout membre ou ancien membre du conseil de l’ordre. La décision du bâtonnier peut être déférée à la cour d’appel par l’une des parties. Les conditions dans lesquelles le bâtonnier peut déléguer ses pouvoirs et les modalités de la procédure d’arbitrage sont déterminées par décret en Conseil d’Etat pris après avis du Conseil national des barreaux. L’ensemble des bâtonniers des barreaux du ressort de chaque cour d’appel désigne tous les deux ans celui d’entre eux chargé, ès qualité de bâtonnier en exercice, de les représenter pour traiter de toute question d’intérêt commun relative à la procédure d’appel. »

L’article 1843-4 du Code civil, quant à lui dispose que :


I/


« I. – Dans les cas où la loi renvoie au présent article pour fixer les conditions de prix d’une cession des droits sociaux d’un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d’accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible. L’expert ainsi désigné est tenu d’appliquer, lorsqu’elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties.


II/ 


II. – Dans les cas où les statuts prévoient la cession des droits sociaux d’un associé ou le rachat de ces droits par la société sans que leur valeur soit ni déterminée ni déterminable, celle-ci est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné dans les conditions du premier alinéa. L’expert ainsi désigné est tenu d’appliquer, lorsqu’elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par toute convention liant les parties. »

On constate donc que l’article 21 de la loi de 1971, ne déroge pas à l’article 1843-4, mais prévoit un aménagement car en cas de conflits entre avocats sur la valorisation de leurs parts sociales, c’est au bâtonnier que revient la mission, et non au président du TGI, de désigner l’expert évaluateur.

Réponse de la Cour de Cassation :

«attendu que l’article 21 de la loi du 31 décembre 1971, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, ne dérogeait pas à l’article 1843-4 du Code civil ; que, dans sa rédaction issue de cette dernière loi, il n’y déroge qu’en ce qu’il donne compétence au Bâtonnier pour procéder à la désignation d’un expert aux fins d’évaluation des parts sociales ou actions de sociétés d’avocats ; que c’est donc à bon droit qu’ayant constaté que l’expert avait été désigné le 21 juin 2010, la cour d’appel a retenu que son évaluation était soumise aux dispositions d’ordre public de l’article 1843-4 du Code civil et qu’elle-même ne pouvait procéder à l’évaluation des parts sociales ; que le moyen n’est pas fondé […]».

Le caractère impératif de l’article 1843-3 du Code civil est donc réaffirmé et ce même si le Bâtonnier est  le premier degré de juridiction en cas de conflits entre avocats.


Quid de l’erreur grossière commise par l’expert dans la détermination des parts sociales ?


L’expert, en se fondant sur une disposition abrogée (l’article 1843-4 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014) qui a déterminé son choix et en refusant de prendre en compte un usage non discuté conforme tant au règlement intérieur qu’aux statuts modifiés et créateurs de droit, l’expert a commis une erreur grossière quant au mode même de détermination de la valeur des parts sociales a violé l’article 1843-4 du Code civil.

Pour mémoire, avant 2014, l’expert avait le choix d’utiliser ou non une méthode prévue dans les statuts ou dans un pacte d’associés.

(A lire : Constance Avocats vous explique les clauses d’un pacte d’actionnaires).

Aujourd’hui ce n’est plus le cas, l’expert doit appliquer la méthode arrêtée par les parties dans le pacte ou les statuts, ce qui, à mon sens,  renforce encore la nécessité de se prémunir d’un pacte d’associés de qualité, adapté au Cabinet et aux associés.


Bon à savoir :


L’expert reste libre quant à la date d’évaluation de la clientèle.

Il sera donc impératif de fixer la date d’évaluation des titres en plus de la fixation du prix dans le pacte d’actionnaires.


Pour approfondir le propos je vous invite à lire l’article de Bastien Brignon, Maître de conférence HDR à l’Université d’Aix-Marseille : Retrait d’avocats d’une SCP et application de l’article 1843-4 du Code civil. (N9285BX8) sur Lexbase.

Le cabinet Constance Avocats vous assiste dans la rédaction de votre pacte d’actionnaire et statuts de sociétés. Toutes les prestations font l’objet d’un devis et d’une étude de votre dossier approfondie.

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